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L'invitée du dimanche / Christiane Wood vit à Castroville

Au pays des Alsaciens d'Amérique


Christiane Wood est de passage dans son Alsace natale, avant de retourner chez elle à Castroville. (Photo DNA)

La semaine dernière, un étonnant faire-part de décès en hommage à Adrien Zeller paraît dans les DNA. Étonnant, car il est le seul à avoir été rédigé en alsacien. Plus étonnant : il provient du Texas, précisément de Castroville. C'est Christiane Wood qui l'a écrit, elle qui, après avoir vécu dans la région, est partie vivre là-bas, chez les Alsaciens d'Amérique où le dialecte survit encore.

Son histoire est une histoire d'émigration (volontaire). Mais c'est avant tout une histoire d'amour. Car elle le raconte : c'est après avoir rencontré Freddy (Alfred Wood), un militaire basé à Phalsbourg, vivant alors à Dimbsthal mais originaire du nord du Texas, qu'elle décide de le suivre dans son pays d'origine, les Etats-Unis. Là-bas, elle fait connaissance avec la petite communauté de Castroville, un village où, « depuis sept générations », on parle encore et toujours l'alsacien. Charmé, le couple dialectophone entreprend d'y bâtir sa maison...

Un écriteau devant
un immeuble de Castroville :
« Do'redde mier Elsassich »

 « Ça a été la chance de ma vie ! », lance Christiane Wood, à propos de sa rencontre, il y a 20 ans, avec celui qui allait devenir son mari. En 1989, Alfred Wood était veuf et habitait Dimbsthal dans une maison typiquement alsacienne. Militaire américain à la retraite, il avait eu le temps (quelques années) d'apprendre l'alsacien avec sa belle-famille implantée dans la région. Originaire d'Obernai et habitant Marmoutier depuis longtemps, Christiane (qui alors ne s'appelait pas Wood) avait 47 ans et deux grands enfants.
 Rencontre, amour, mariage. Elle vit pendant sept ans avec lui dans sa maison alsacienne. Puis vient l'année 1996. Celle du grand voyage. « C'était un garçon du soleil : il voulait absolument rentrer au Texas. Mais il m'a laissé le choix. J'ai choisi le Texas. » C'est alors qu'elle découvre une autre Amérique, sur les terres de l'ancien président George Bush, dont les habitants ont été si souvent caricaturés dans la presse française. Contrairement à ce que l'on croit souvent, ces gens sont selon elle « très aimables et serviables ».
 Etabli dans le nord, près de la Red River et de l'Etat voisin, l'Oklahoma, le couple entreprend de visiter la région et pousse vers le sud. « Je voulais absolument voir Castroville, explique Christiane, parce qu'on me racontait qu'ils parlaient toujours alsacien là-bas. Au début, je n'y croyais pas. » Puis elle en a la preuve vivante : « J'ai rencontré un monsieur qui parlait extrêmement bien l'alsacien ». Monsieur croisé devant un immeuble où, apposé au mur, un écriteau avait retenu son attention : « Do'redde mier Elsassich ». Dès lors, elle sympathise avec toute la petite communauté, dont les noms lui rappellent ceux d'ici : Jungmann, Schott, Kempf, Keller, Haby, Rihn, Tschirrhart...

Parmi les 3600 habitants,
« à peu près 200
parlent encore le dialecte »

 Elle est immédiatement intégrée. « Les gens sont relax, très hospitaliers. Ils m'ont bien reçue parce que je parlais alsacien. » Elle apprend leur histoire. Comprend pourquoi leur alsacien n'est pas tout à fait le même que le sien -« ils ont l'accent haut-rhinois et s'expriment en vieil alsacien ». L'explication est historique : parties en exil du Sundgau ou de la région mulhousienne en septembre 1844, les familles de Castroville ont appris à leurs descendants l'alsacien de l'époque, préservé tel quel depuis sept générations.
 Tel quel ? Pas tout à fait. Car on reconnaît çà et là des influences anglo-saxonnes, comme dans l'expression « Mir wàtsche TV », dérivée de l'anglais « to watch », regarder. A Castroville -« The Little Alsace of Texas », comme ses habitants se sont eux-mêmes baptisés-, les enfants d'immigrés ont appris le dialecte de leurs parents, mais « ils ne savent pas l'écrire ». Il y a même un gars là-bas qui a créé un petit dictionnaire américain-alsacien, après avoir interrogé patiemment les anciens du village.

En 2002, la maison Steinbach
est inaugurée
en présence d'Adrien Zeller

 Parmi les 3600 habitants de Castroville, tous descendants d'Alsaciens, « à peu près 200 parlent encore le dialecte ». On y est également attaché aux traditions culinaires : saucisse à frire, kougelhopf, bredele (« bradala » donc, avec l'accent du sud...) et bien sûr la choucroute, confectionnée sur place à base de choux cultivés spécialement à cet effet. Les restaurants servant des spécialités alsaciennes sont d'ailleurs très courus par les touristes américains, curieux de trouver là un concentré de culture européenne.
 Meubles, poteries, pots à lait, parfois apportés par les immigrants lors de leur arrivée sur la terre promise, sont également conservés avec soin. Il y a même des potiers qui recommencent aujourd'hui à travailler « selon des modèles anciens ». Autre tradition très respectée : « L'église est toujours pleine » de fervents catholiques, dans ce pays à la grande majorité protestante.
 Pour Christiane et Freddy, tout s'est fait très rapidement. Après quelques visites dans la petite Alsace du Texas, c'est décidé : ils bâtiront leur maison à Castroville. Une maison construite selon les normes de là-bas. Mais avec quelques ajouts : en guise de colombages « on a mis des planches ». « Et Freddy m'a fait des volets avec un petit coeur », au pays où le volet n'existe pas. Enfin le couple a installé un écriteau devant la maison : « Do'redde mier Elsassich ET français ». L'histoire ne dit pas si Christiane habite rue Obernai (si si, il y en a une à Castroville), du nom de sa commune de naissance...
 Puis c'est une autre maison qui unira la communauté. Dans le cadre d'un projet formé par l'instituteur de Rouffach, Paul Dulin, Gérard Ober, alors maire de Hochfelden, prend contact avec Christiane. Outre un « jardin des racines » -une plantation d'arbres dessinant la forme de l'Alsace-, il s'agissait d'implanter une maison alsacienne en terre d'Amérique. C'est ainsi qu'en 2002, la maison Steinbach est inaugurée à Castroville en présence d'Adrien Zeller, une vraie maison alsacienne à colombages datant de 1616, démontée dans le Sundgau puis remonté à l'entrée du village texan.
 Après que des bénévoles d'Ensisheim aient envoyé là-bas meubles et accessoires traditionnels, « j'ai mis les nappes sur la table et les assiettes qu'on m'a données, raconte Christiane. On dirait que quelqu'un y habite ! »

Christiane donne aussi
des cours d'alsacien

 A Castroville, Christiane donne aussi des cours d'alsacien pour ceux qui souhaitent rencontrer des membres de leur famille éloignée restés au pays -et « il y en a beaucoup ». Grâce aux annuaires qu'elle a conservés, elle en a aidés plusieurs à retrouver la trace de parents alsaciens. En visite ici, apparemment, « ils adorent les géraniums. Là-bas, nous n'en avons pas : il fait trop chaud. » Et ils apprécient aussi « le bon petit vin »...
 Pourtant, à Castroville comme en Alsace, le dialecte se meurt doucement. Christiane s'en désole, elle qui garde chaque jour contact avec sa terre natale : « Je lis tous les jours les Dernières Nouvelles d'Alsace sur internet ». C'est ainsi qu'elle a appris le décès de son ami Adrien Zeller : « Ça m'a fait quelque chose, je le connais depuis que j'ai 17 ans ».
 Pourtant, Christiane n'envisage pas de revenir vivre en Alsace. Car elle a vécu à Castroville « les meilleures années de ma vie ». Et même si, l'an dernier, son mari est décédé. Même si, à 67 ans, elle est aujourd'hui très malade. Christiane Wood, la seule « authentique alsacienne » de Castroville, continuera à vivre son Alsace en Amérique. « Freddy, ça a été la chance de ma vie, répète-t-elle doucement en toute fin d'entretien. Et je lui resterai fidèle jusqu'au bout. »

Emmanuel Viau

www.castroville.com

© Dernières Nouvelles D'alsace, Dimanche 06 Septembre 2009. - Tous droits de reproduction réservés